Article Le Point International « La crise saoudienne va obliger les acteurs régionaux à dévoiler leur jeu »
Tayeb Benabderrahmane, président du Club géopolitique, s’apprête à recevoir l’envoyé spécial de Macron pour la crise du Golfe. Entretien.
PROPOS RECUEILLIS PAR LE POINT.FR
Publié le 26/11/2017 à 12:55 | Le Point.fr
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Tayeb Benabderrahmane est le président du Club géopolitique qu’il a créé cette année avec Ibrahim Sorel Keita pour faciliter les discussions entre décideurs sur les grands enjeux mondiaux. Ce think tank soutenu par des chercheurs, des militants associatifs et des hommes d’affaires vise à faciliter les échanges entre décideurs pour peser sur des dossiers internationaux. À l’approche d’un colloque sur la crise politique en Arabie saoudite, durant lequel l’émissaire spécial de l’Élysée Bertrand Besancenot va intervenir, il donne une interview au Point.
Le Point : Le 28 novembre prochain, l’ex-ambassadeur au Qatar et en Arabie saoudite Bertrand Besancenot, émissaire d’Emmanuel Macron dans le Golfe, interviendra devant le Club géopolitique, que vous présidez. Que pouvez-vous nous dire de l’intervention de la France ayant permis le retour de Saad Hariri ?
Tayeb Benabderrahmane : Saad Hariri est l’incarnation au sens strict du terme des rivalités de pouvoir qui sont à l’œuvre dans la région, et plus particulièrement entre l’Iran et l’Arabie saoudite. Certains pourraient prétendre que se joue au Liban une lutte pour le leadership sur le monde musulman entre chiites et sunnites. Sans la France, les Saoudiens auraient été au pied du mur, sans sortie honorable possible. Un Premier ministre en exercice démissionnant depuis leur territoire : pour les Libanais, il s’agit d’une ingérence inacceptable.
Comment faut-il analyser les multiples arrestations de hauts dignitaires saoudiens et la purge engagée par le roi Salmane d’Arabie au début du mois de novembre ? S’agit-il d’une vraie campagne anticorruption ou d’une manœuvre pour asseoir son autorité ?
Il est trop tôt pour le dire. Ce qui est certain, c’est que le royaume saoudien, sur le plan extérieur, voit son leadership disputé par le retour en force de l’Iran sur la scène internationale, et l’émergence de petits royaumes comme Bahreïn, le sultanat d’Oman ou le Qatar, ce dernier souhaitant compter dans le concert des nations, notamment en usant du soft power. Son positionnement moins clivant que l’Arabie saoudite vise à des relations plutôt apaisées entre les deux rives du golfe arabo-persique, ce qui est perçu par Riyad comme une connivence avec l’ennemi chiite de toujours, l’Iran. En ce qui concerne les enjeux internes à la société saoudienne, le sultan doit certainement regarder la démographie de son peuple, avec 70 % des siens qui ont moins de 30 ans. Il doit probablement penser à la trop grande dépendance de son économie à la rente pétrolière. Tout cela devrait, je pense, le conduire à renouveler les têtes et les pratiques.
Le Club géopolitique organise des discussions autour de la crise saoudienne en affirmant que la situation est à la fois « utile et inutile ». Qu’entendez-vous par cette formule ?
Elle peut s’avérer d’une part utile à la région, car elle va obliger les acteurs régionaux à dévoiler leur jeu, d’autre part utile à la France en lui permettant de renouer avec l’influence historique qu’elle a toujours jouée dans la région comme un acteur incontournable de la diplomatie. En même temps, cette crise est inutile, car elle risque d’ajouter aux malheurs, à la violence et au terrorisme que vivent déjà les populations locales, et ce, depuis longtemps.
Paris et Washington peuvent-ils jouer un rôle dans la résolution de cette crise interne en Arabie saoudite ? Les grands contrats industriels et d’armement signés par le royaume saoudien ne rendent-ils pas impossible toute critique ou pression diplomatique ?
En dehors des industriels de l’armement, pour qui les conflits génèrent de l’activité et donc des profits, le reste des acteurs économiques comme les gouvernements sont plutôt sensibles à la stabilité de la région. La France comme les États-Unis peuvent tout à fait avoir un leadership complémentaire dans la région, avec des intérêts communs, comme la lutte contre le terrorisme ou la paix en Israël.
Rapprochement avec Israël, rupture diplomatique avec le Qatar, guerre ouverte au Yémen et maintenant démission forcée du Premier ministre libanais. Où les ambitions de l’Arabie saoudite vont-elles s’arrêter ?
Nous vivons aujourd’hui les signes avant-coureurs d’une recomposition du jeu d’acteurs au Proche et au Moyen-Orient. En dehors de l’Arabie saoudite, il convient de regarder de près ce que va être le rôle de l’Iran dans les prochains mois, comment va se développer l’influence du Qatar, avec ses ambitions en matière de soft power sportif. Quels vont être les impacts du recul de Daech dans la région ? Comment la Turquie ou la Russie vont-elles agir ? Comment la question kurde va-t-elle évoluer ? Ce sont là autant de sujets sensibles à suivre de près, que nous aborderons et sur lesquels la France doit se positionner.